Les secrets de l'apothicaire - Partie I - De vagues en écume...

Le navire glissait sur l'eau avec sérénité, pareil à un cygne nonchalant. Sa proue fendait la surface placide de cette véritable mer d'huile en laissant dans son sillage des remous tourbillonnants. Accoudé au bastingage, Satori observait avec paresse les volutes écumeux se dissoudre tranquillement, tandis qu'une poignée de mouettes voletait au-dessus de la poupe, à l'affut de quelque poisson aventureux. Un embrun salé chatouillait les narines du jeune Genin qui bailla à s'en décrocher la mâchoire. Depuis qu'ils avaient quitté l'archipel de Mizu no Kuni, les ninjas de l'équipe numéro huit de Minawa n'avaient pas eu grand chose à faire. Ils s'étaient pourtant réjouis, et pour cause ! Cette mission de rang C - leur toute première depuis qu'ils avaient été diplômés de l'académie de Kiri et obtenu leur bandeau frontal - allait les emmener à l'étranger. Tout shinobi connait cette excitation dans sa vie, celle de l'inconnu que procure la première excursion hors de ses terres natales. Une excitation déçue, pour l'heure, tant par la lenteur de leur navire que par le calme plat de la mer. Fallait-il s'en plaindre, cependant ? Probablement pas, mais la jeunesse ninja a cette particularité de nourrir un désir incompressible d'aventure périlleuse, qui finit tôt ou tard par s'estomper avec l'âge.

D'un regard circulaire, Satori embrassa le reste de l'équipage. Assise sur un coussin près du mat central, Himiko, la seconde membre de l'équipe, parcourait d'yeux à moitié clos les pages noircies d'encres d'un roman à l'eau de rose, qui ne semblait pas vraiment capter sa plus vive attention. Non loin d'elle, leur senseï, Shirobe Minawa, discutait avec l'homme dont l'escorte était la mission à laquelle l'équipe huit avait été assignée. Il s'appelait Kichirô, et c'était un apothicaire originaire de Yu no Kuni, le pays des Sources Chaudes. Il revenait d'un voyage par delà les mers qui, disait-il, l'avait conduit jusqu'au pays des Océans, où il avait récolté des herbes rares et précieuses qui lui serviraient à concocter de nouveaux toniques. Il souhaitait désormais être escorté sur le chemin du retour, jusqu'à chez lui, par peur des pirates qui écumaient en cette saison les petits archipels situés entre le pays de l'Eau et le continent. Il n'était pas inhabituel pour les pirates de sévir au printemps, quand les mers étaient plus calmes qu'en automne ou en hiver, mais ils se risquaient rarement à attaquer les navires escortés par des shinobis.

- La méga baaaarbe ! soupira Shingetsu qui, torse nu, s'affala sur le bastingage, les bras ballant par-dessus bord. Et ce bateau qui n'avance pas... j'ai l'impression que j'irais plus vite à la nage.
- Pourquoi tu t'es désapé, toi ? lui lança Satori, circonspect.
- Ben, ça tape pas mal. T'as pas chaud toi ?

Satori leva les yeux vers la voûte d'un azur impeccable. Un grand soleil régnait en maître incontesté, sans aucun nuage pour prétendre usurper son trône. Le jeune Kirinin ne supportait pas bien les grandes chaleurs, mais il y était vraisemblablement plus résistant que son acolyte. Shingetsu suait à grosses gouttes, si bien qu'on aurait pu croire qu'il employait la technique de liquéfaction propre à son clan.

- Maintenant que tu le dis, c'est vrai qu'il fait chaud, pour un jour de printemps, acquiesça Satori.
- Tu viens te baigner ?
- Sans façon, mais fais-toi plaisir.

Le jeune Hôzuki ne se gêna pas et piqua une tête. La splash qui s'en suivit attira l'attention de Himiko, qui relevant le nez de son livre, s'en vint le houspiller aussitôt. Satori produisit un grand sourire. Depuis la formation de leur équipe, il s'était pris d'une affection toute particulière - mais secrète - pour la kunoichi. Il se demandait si le sentiment était réciproque. Peu de chance... songeait-il.

Le voyage se poursuivit de la sorte une nuit et un jour de plus. Et bientôt l'on pouvait deviner, à l'horizon, les côtes du continent. Le plan consistait à poser l'ancre au petit port d'Atsumi, puis de faire route à pied jusqu'à Yugakure, le village caché des Sources Chaudes, où Kichirô habitait. Tout au long de la traversée, l'apothicaire s'était montré des plus avenants, blaguant, riant à gorge déployée aux jeux de mots - pourtant relativement mauvais - de Minawa-senseï et ventant à qui voulait bien l'entendre les vertus curatives des bains de son village, mais dès lors qu'on était arrivé en vue du littoral, il s'était tout soudain renfrogné, perdant de cette jovialité qui avait jusqu'ici rendu le voyage un peu moins ennuyeux.

- Minawa-senseï, murmura Satori, qui était plutôt observateur.
- Oui, j'ai remarqué aussi, acquiesça-t-elle, les yeux rivés sur l'apothicaire qui se tenait immobile à la proue, fixant gravement l'horizon. Tout va bien, Kichirô-san ?
- Parfaitement, rétorqua-t-il aussitôt. Je contemplais simplement le fait que mon voyage approche de son terme.

Il disait cela sans se retourner, mais finit par adresser un grand sourire à ses interlocuteurs, les yeux clos. Une expression de façade. Pour l'heure, toutefois, il était impossible aux shinobis de savoir si leurs intuitions étaient fondées, aussi se contentèrent-ils de rester aux aguets. Leurs inquiétudes se concrétisèrent quand le navire franchit l'enceinte du port. D'un signe, la Jônin ordonna à son équipe de se poster en formation triangulaire à la proue du vaisseau car, d'un regard, elle avait remarqué que les quais étaient déserts. Les trois Genins s'exécutèrent, Satori sur l'aile droite, Shingetsu au centre et Himiko sur la gauche et ils constatèrent à leur tour l'étrangeté de la situation. Rares sont les ports inactifs au printemps, même au crépuscule... Le capitaine du navire réalisa les manœuvres d'approches puis fit jeter l'ancre. Il semblait inquiet de la situation et suggéra que les pirates avaient peut-être sévi.

- Tout cela ne me dit rien qui vaille, dit Minawa. Shingetsu, avec moi, nous allons inspecter la bourgade. Himiko, Satori, restez à bord avec Kichirô-san et protégez-le.

Ils opinèrent et obéirent. La Jônin et le dernier rejeton du clan Hôzuki débarquèrent prudemment et s'engagèrent dans les ruelles pavés du port civil, tandis que les deux autres Genins se postèrent de sorte à couvrir leurs arrière en protégeant l'accès au navire. Un long moment passa dans le silence, sans qu'aucune nouvelle ne parvienne du duo parti en éclaireur.

- Maître apothicaire, avez-vous une idée de ce qui a bien pu se passer ici ? demanda Himiko.
- Non... Je ne comprends pas, ce port est très animé, d'habitude.

Il parlait d'une voix étouffée, tombante. S'en rendant compte, Satori se tourna dans sa direction et vit qu'il avait les yeux rivés vers le plancher du navire, comme s'il refusait à tout prix de croiser son regard. Il cachait décidément bien quelque chose. Mais le constat arrivait trop tard. Soudain, une... non deux explosions retentirent dans le village portuaire, suivi d'une salve de trois autres, et une grande déflagration engouffra une demi-douzaine d'habitations, précisément dans la direction vers laquelle Minawa et Shingetsu étaient partis. L'instant suivant, quatre ninjas surgirent du nuage de fumée et se ruèrent sur le navire. Ils ne portaient aucun bandeau distinctif. L'un d'entre eux, aux épaules larges et aux bras épais comme des bûches, frappa d'un poing ferme la coque du navire, qui vola en éclat. Avant même d'avoir pu réagir, les deux Genins se trouvèrent projetés en arrière et le navire commença à sombrer dans l'eau agitée. Le capitaine poussa un cri de désespoir avant de se jeter à l'eau. Une volée de shuriken fusa droit sur Kichirô, mais Satori se releva d'un bond, dégaina un kunai de sa sacoche et les para tous, à l'exception d'un seul, qui trouva le chemin de sa cuisse gauche, s'y fichant d'un coup sec et arrachant au jeune Genin un grognement de douleur. Himiko se jeta sur l'un des assaillants, tandis que les trois autres se ruaient sur Kichirô. Dans l'urgence, Satori composa le mudra du tigre puis malaxa du chakra dans ses poumons.

- Suiton... commença-t-il à formuler.
- Trop lent ! l'interrompit l'un des assaillants.

Ce dernier infligea un violent coup de pied au buste du Genin. Sous l'effet du choc, Satori cracha l'eau accumulée dans sa cage thoracique et, le souffle coupé, bascula par-dessus bord. Il ne laissa pas la douleur sourde qui serrait sa poitrine l’hébéter et regagna aussitôt la surface, mais il était trop tard, le navire avait déjà à moitié sombré. Satori se redressa à la surface de l'eau et vit que l'un des intrus portait Kichirô inconscient sur ses épaules. Il se mit en chasse, ne leur laissant pas le luxe de creuser la distance qui les séparait. Alors qu'il s'engageait dans une des rues principales du patelin, Himiko lui emboîta la pas, et ils contournèrent bien vite les maisons en proie aux flammes qui résultaient des explosions de tantôt. Là, ils virent Minawa en finir avec deux autre shinobis, tandis que Shingetsu repoussait le brasier qui les cernait par l'usage d'une technique Suiton. Du coin de l'oeil, Satori vit soudain qu'une autre bâtisse menaçait soudain de s'effondrer sur son sensei, mais le fracas tonitruant de l'incendie empêchait de l'alerter. Il fallait choisir, maintenir la poursuite, ou prendre le risque de perdre le fuyard pour venir en secours à la Jônin.

Satori et Himiko n'eurent guère besoin de se concerter ; comme un seul homme, ils bifurquèrent et produisirent chacun un jutsu qui balaya la structure enflammée aussitôt...

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